Scène 1

Entrée de Médée

Malheur à moi !
Oubliez la Barbare
Oubliez la sorcière
Je viens devant vous
Parce que
Aujourd’hui
Aujourd’hui seulement,
Je viens d’apprendre que Jason mon amant,
Le père de mes enfants
Se marie avec la fille de votre souverain le Roi Créon
Aujourd’hui je viens d’apprendre que je suis exilée
Aujourd’hui je viens d’apprendre que Jason mon compagnon m’a trompée et me répudie
Aujourd’hui, je ne suis plus rien
Ne vous détournez pas, ne vous effrayez pas
Regardez moi
Laissez moi vous parler de Jason
Laissez moi vous parler de mon pays si lointain

Vous les femmes
Ecoutez moi!
Chez moi
Dans mon pays
Dans mon pays aimé
Dans mon pays aux montagnes majestueuses
Aux miels les plus sucrés
Aux épices les plus parfumées
Ou tout le monde déborde d’amour
Ou la justice comme ici est sensée régner en maître
Une fille ne peut que voler son père
Si elle naît
Si elle grandit
Si elle se marie
Elle vole l’argent de son père
Si elle lui résiste
Si elle le fuit
Si elle montre son corps
Si elle aime par amour
Si elle se fait violer
Elle vole l’honneur de son père
Oui
Dans mon pays aimé
J’ai tué mon frère
Tant que j’ai été une petite fille
Mon frère m’a aimée
Le jour ou je suis devenue femme
Il a renié sa soeur
Il s’est détourné de moi
Il m’a surveillé
Il m’a enfermée
Oui
Dans mon pays adoré
Pour mon frère et mon père
Je suis devenue un objet
A vendre
A débarrasser
Impure
Avant de fuir mon pays,mon pays paradis
Chaque partie de moi
Négociée
Cadenassée
Annihilée
Dépecée
Bafouée
Niée
Déjà morte
Quand j’ai fui mon pays avec Jason
Mon pays adulé
J’ai volé l’honneur de mon père
Et aussi
Je lui ai pris sa Toison d’or
Sa tradition
Sa fierté
Sa vieille peau de mouton puante
Symbole de son pouvoir
Symbole de son sexe
Symbole de sa misère
Symbole de ses érections
Je l’ai donné à un autre
Je l’ai donné à un autre
A celui qui m’a donné des voyages
A celui qui ne m’a pas regardée en homme
A celui qui ne m’a pas traité en femme
A celui qui c’est proclamé mon égal
A celui que moi j’ai choisi
A celui qui m’a regardée
A celui à qui j’ai donné
Deux beaux enfants
Oui oui
Quand j’ai fui mon pays avec Jason
Mon pays que je rêve chaque nuit
J’ai tué mon frère
Celui que mon père préparait et couvait
Celui que ma mère préparait et couvait
Mon frère qui faisait le prince
Qui se voyait déjà le roi de la maison
Qui voulait me retenir
Que je lui fasse à manger
Que je lui lave les pieds
Oui oui
J’ai tué mon frère
Je l’ai découpé en morceaux
Quand je fuyais mon pays
Ma Colchide
La terre de mon enfance
Quand je fuyais mon pays avec Jason
Avec Jason
A chaque croisement
De mon frère j’abandonnais un pied
un bras
une main
le tronc
Oui oui
J’ai tué mon frère
Je l’ai découpé en morceaux
Mon père n’arrivait plus a nous poursuivre
A chaque abat sanglant
Il s’effondrait
Je lui jetais son propre sang
Je lui jetais mon propre sang
Je lui jetais sa vision de mon corps
Sa tradition
Ses mutilations
Juste avant de monter
Dans le bateau de non retour
Dans le bateau de mon exil éternel
J’ai embrassé la bouche de mon frère
Je m’en suis ensanglanté le visage
Et j’ai jeté sa tête coupée dans la foule sur le quai.
Voilà ce qu’il faut
Voilà ce qu’il fallait
pour une femme
Dans mon pays merveilleux que je regretterais toujours
Voilà ce qu’il faut
Voilà ce qu’il fallait dans mon pays étranger aux femmes comme tous les pays.
Voilà ce qu’il fallait pour une femme
Dans mon pays
Pour être libre
Entendez-moi
Pour Jason
J’ai fui mon pays
Mon pays de cœur
Par amour
J’ai tout brûlé, tout brisé, tout massacré,
Pour Jason
J’ai volé mon père
J’ai tué mon frère
Avec Jason, pour Jason,
J’ai tué son oncle
Bouilli vif dans une marmite
J’ai fait l’amour avec Jason
L’ennemi de mon pays charnel entre tous
Je lui ai donné ces deux beaux enfants
Et lui
Lui il m’a trahie
Entendez-moi
Vous êtes là à me regarder
Avec vos estomacs bien remplis
Avec vos pieds chaussés
Habitués à voir défiler la misère
Mais loin, très loin
Vous pleurez sur des images
Regardez moi, vibrante devant vous
Aujourd’hui
je ne suis plus qu’une femme ordinaire
Fière vraie et sincère
Oubliez la Barbare
Oubliez la sorcière
Lorsque Jason vous parlera et flattera vos oreilles
Haïssez moi ! Condamnez moi !
Mais je vous en conjure
Rappelez-vous mes paroles et préservez mes enfants

Scène 2

Discours de Jason

Jason
Citoyens
Mes chers amis
Mes compatriotes
J’ai une déclaration importante à vous faire
Comme vous le savez
C’est avec joie que j’ai été choisi par le Palais
C’est avec honneur que j’ai accepté d’épouser la princesse
Ainsi
Dès à présent
Je commence une vertigineuse mission
Sous les sages conseils de notre chef éclairé
Je vais apprendre mon futur métier de souverain
Je vais tout faire pour mériter votre respect
Et j’espère pouvoir un jour
Un jour le plus lointain possible
Etre un roi digne d’admiration et d’amour.

Ma vie n’est pas exempte de reproches
C’est vrai que j’ai un passé d’aventurier sans scrupules.
J’ai beaucoup à me faire pardonner
Mais vous m’avez offert une nouvelle vie
Grâce à vous je me suis retrouvé
Grâce à vous j’ai repris racine
Grâce à vous j’ai trouvé une force nouvelle
Vous m’avez fait toucher le cœur de notre civilisation
Votre pays est devenu mon pays

En me séparant de Médée je me coupe de mon ancienne vie
Elle et moi nous connaissons le funeste terreau de notre amour
Mes voyages et mes exploits ont eu des conséquences tragiques.
En revenant vers l’occident, j’ai commencé à changer.
Ce retour est devenu pour moi une retraite spirituelle
Oui sa beauté exotique m’a charmé
Oui sa grande noblesse m’a flatté
Oui elle m’a fait deux beaux enfants
Mais notre union est basée sur le crime
Pour elle, j’ai trompé, et volé
Pour elle, j’ai tué et violé le sanctuaire de la famille
Pour elle j’ai craché sur nos Dieux
Pour elle j’ai piétiné nos valeurs sacrées
Pour elle je me suis anéanti
J’ai été égaré par sa magie Barbare
Je me détache de mes errements passés
Je veux rétablir la pureté de notre race

Médée vient d’un beau pays
Elle vient d’une grande famille
Elle est l’héritière d’une grande civilisation
Mais rien n’égalera jamais notre terre de liberté
Rien ne peut rivaliser avec nos richesses
Rien ne peut surpasser nos consciences éclairées
En ouvrant les yeux j’ai vu ce que je refusais de voir
Moi, le brave, l’aventurier
Moi le héros sans scrupule
J’avais été trompé
J’avais été abusé
J’avais été ensorcelé
Que Médée m’aime sincèrement
je le crois
Que nos enfants soient le fruit de l’amour
Je veux encore le croire
Mais
J’ai aussi été l’instrument de ses desseins inavoués
Elle m’a utilisé pour fuir sa pauvreté
Elle m’a utilisé pour jouir de nos richesses
Elle m’a utilisé comme un cheval de Troie
Pour distiller le poison des ses valeurs
Pour nous diviser
Pour corrompre notre pureté.
Elle m’a utilisé pour nous tromper tous
Quels sont ses mérites
Quels sont ses tâches et son travail
Quels sont ses qualités
Quels sont ses droits pour s’asseoir à notre table
Pour manger nos fruits
Pour boire notre vin
Le vol, le meurtre, le mensonge
Cette femme peut être belle
Cette femme peut faire de beaux enfants
Cette femme peut être intelligente
Cette femme peut être noble
Cette femme est et sera toujours
Une étrangère
Une sorcière
Une barbare

Parce qu’elle est une menace
Pour le peuple
Pour le futur de ce royaume
Pour notre civilisation
Le Palais a voulu sa disparition
J’ai pris sur moi de prendre sa défense
Au nom de la toison d’or
Au nom de notre union passée
Au nom de nos enfants
Ce soir
Médée et nos enfants partiront pour un exil sans retour
Seul j’assumerai financièrement la vie de mon ancienne famille
Elle ne coûtera rien à l’état
Cette décision pénible s’impose à moi
Elle s’impose à elle
Elle s’impose à tous

Citoyens
Mes chers amis
Mes compatriotes
Une grande aventure nous attend
Celle du bonheur, de la paix et de la prospérité
Merci.

Scène 3 dansée

Scène 4

Dialogue Médée Jason

Jason :
Ecoute-moi
Nous avons peu de temps
Mon discours était pour le peuple
Ce que j’ai toujours aimé en toi
c’est la barbare
La femme
Les valeurs humanistes de ce pays sont ennuyeuses
Petites
Sans grandeur
Oui
Je me suis remis au niveau des simples mortels
Je ne peux pas apparaître à tes côtés
Mais mon cœur est avec toi
J’ai regardé notre situation en face
C’est sans espoir
Personne ne veux plus de nous
Seul ce vieux roi infirme peut nous donner un avenir
Attends avant de répondre
Cette fois-ci tu m’entendras jusqu’au bout
Nous sommes pauvres
Nous n’avons rien
Nous n’avons plus d’avenir
Avec ce mariage je nous sauve
Avec ce mariage je sauve les enfants
Avec ce mariage j’accomplis le dernier de nos exploits
C’est mon dernier acte d’amour
C’est un hold up d’amour
On nous tend la combinaison du coffre
Le seul prix de notre vie
Le seul sacrifice pour notre survie
C’est ce mariage
Nous avons toujours survécu les situations désespérées
Celle-ci en est une
Cette position qu’on nous offre est inespérée
J’assure ma postérité
Je te sauve la vie
Je sauve la vie des enfants
Je nous couvre d’or

Tu es restée si jeune
Tu es toujours si ardente
Je t’aime
Tu es si belle
Je n’ai jamais cessé de brûler pour toi
Nous avons toujours réussi à nous en sortir ensemble
Tu m’a sauvé plus d’une fois
Et cette fois c’est mon tour
Tu as trop d’ennemis ici
Vivre avec toi est un éblouissement
Vivre avec toi est une fête
Vivre avec toi c’est jouir sans limites
Tu descends du roi soleil
Etre à tes côtés c’est être un dieu
Etre à tes côtés c’est défier l’univers
Etre à tes côtés c’est naviguer en riant sur les flammes de l’enfer
Nous avions un pacte de sang
Nous avons juré devant l’immensité
Sans pudeurs nous avons volé, trompé et tué
Nous avons volé notre liberté à l’humanité
Nous avons imposé notre amour aux hommes
Je n’ai aucun regret, aucun remords
Ces années merveilleuses seront chantées longtemps
Mais la vérité
La vérité
La vérité c’est que je suis fatigué
Je suis épuisé
Je n’arrive plus à être flamboyant
Je ne suis plus que l’ombre de celui que je fus
La vérité
La vérité c’est que je suis devenu faible
Je veux redevenir un simple mortel
C’est mon dernier souhait
Aide moi
Aide nous une dernière fois
Avec ce mariage nous devenons riches
Avec ce mariage nous sauvons nos enfants
Avec ce mariage tu peux repartir pour d’autres aventures
Moi je redeviens un petit homme
Avec une femme docile et sans envergure
Roi d’un pays médiocre
Je rendrai justice pour des petits marchands
Je n’ai plus le courage d’être un héros
Je n’ai plus la force d’être ton héros
Ce mariage est notre chance
C’est aussi notre seul avenir
Même si je ne suis plus digne de toi
Je t’aime encore
Je t’aimerai toujours
Aide moi
Aide nous
En quittant ce pays
C’est moi qui pars en exil de mon cœur
Pars et libère nous des folies de la passion
Ne gardons qu’un amour pur et tendre

Médée :
Dans ma petite province
Je vois arriver un homme
Beau comme un dieu
Un homme sans scrupules prêt à tout
Un homme drôle
Qui décide de charmer une jeune adolescente
Moi
La tête de cet homme devant ma magie
Son ahurissement de découvrir une ambition plus puissante que la sienne
Plus puissante que celle de tous les roitelets occidentaux réunis
Quelle ironie
C’est aujourd’hui aujourd’hui seulement que je vois que nos ambitions n’ont rien de commun
Oui il me vient une question
Une question que jamais je ne me suis posée
En fait c’est assez amusant
Il a toujours cru que je pensais comme un homme
J’ai toujours été persuadé qu’il pouvait réfléchir comme une femme
Oui il me vient une question
Est-ce qu’il a jamais pensé à ce que je voulais
A ce que je désirais
A mon ambition profonde
A t-il jamais été capable de voir au delà de lui même
Bien sûr, bien sûr, c’est lui que je désirais
mais au delà
Au delà il ne me l’a jamais demandé
Et je ne le lui ai jamais dit tellement l’évidence m’était éclatante

Comme des enfants insatiables
Chevaucher ensemble des taureaux furieux
Danser autour des cracheurs de feu
S’enlacer en piétinant les ossements des morts
Nos corps odorants
Suants
Moites de sang et de boue s’unissant sans fin sur une peau de mouton dorée et puante
Vivre
Vivre comme des enfants fous
Nous avons vécu la plus belle et la plus innocente des vies
Vivre l’instant avec folie
Que chaque nouvelle journée coupe les ponts avec la précédente
Que l’amour d’hier soit oublié et réinventé
Que chaque étreinte, bonheur ou crime soient des liens foudroyants et indestructibles
Libres
Passionnément libres
Avec lui tout était possible
Pour lui
J’ai déformé mon corps
Je me suis vue transformer et enfler
J’ai vu mes seins défier la gravité tellement ils étaient gonflés
Avec lui tout était possible
Même jusqu’au plus incroyable
Avoir des enfants
Vivre la folie d’une famille responsable et furieuse

Je pensais que tu réfléchissais comme moi
Que seul comptait la passion et l’amour
L’exploration sans limites des sens et des désirs
Repousser toujours plus loin les limites de la folie
Etre un scandale incandescent ravageant tout sur son passage
Brûler l’humanisme conformiste et stérile
Par jeu, par folie par passion
Pour toi mon amour
Pour toi
J’ai trahi mon père
Mon amour
j’ai tué mon frère
Mon cœur
j’ai bouilli ton oncle
Ma terre
j’ai perdu mon pays
Mon complice
je t’ai livré ma magie
Mon aventurier
j’ai vécu sur ton rafiot pourri
Mon amant
Je t’ai donné mon corps
Ma passion
Je nous ai donné le plus grand trésor
La plus grande ambition
la liberté et l’amour

Jason
Mon homme
As tu jamais imaginé notre vieillesse
Seuls sur une île
Jouissant toujours de nos corps parcheminés
Riant avec les sirènes
Cultivant des plantes fantastiques
Dégustant des poissons grillés
Jouant avec nos petits enfants de passage
Est-ce que tu sais ce que la tendresse peut être
Sais tu que la tendresse est une émotion d’une apaisante violence
Oui j’ai été aveugle
Ton ambition a toujours été la même
Tu as toujours voulu être Roi
C’est pour ça que tu es venu voler la Toison d’or de mon père
Et c’est pour ça que j’ai trahi mon pays
Toutes ces aventures pour ça ?!

L’homme que j’aime a une grande ambition
Il veut un bon emploi stable de roi
Il veut un beau palais
Il veut beaucoup de serviteurs empressés
Il veut manger dans des assiettes d’argent
Il veut boire dans des coupes en or
Il veut avoir bien chaud dans des manteaux d’hermine
Et il veut se sentir jeune à nouveau
Il lui faut de la chair fraîche à présent
Il veut une nouvelle femme bien jolie aux yeux de biche et qui fasse tout ce qu’il veut
Suis-je devenue tellement vieille à ses yeux
Mes petites rides et mes plis te dégoûtent tellement
Me toucher est-il devenu une épreuve insoutenable
Me parler comme à un égal est-il devenu si dégradant
Tu me parles de pureté de barbarie et de race
Tu n’étais pas si exigeant quand tu jouissais de mon corps
Tu me parles de hold up d’amour ,d’être à l’abri du besoin d’or et d’argent
Tu me parles de ce mariage comme d’un acte de commerce

Je n’ai jamais été à vendre
Nos enfants ne sont pas des esclaves
Notre passion est ma seule richesse
Notre amour est ma seule ambition
Le reste
Se ne sont que des suppléments bienvenus
La déception est amère
Oui je me suis trompée
Nous n’avons jamais eu la même ambition
De toi ou de moi
Je ne sais qui je dois plaindre
Disparais de ma vue et crains ma vengeance

Scène 5 dansée

Scène 6

Monologue de Médée

Mes enfants
Venez près de moi
Venez m’embrasser
Oui je suis très triste
Quand on est triste il peut venir des pensées terribles
Je n’ose pas vous dire ce que je pense
Serrez moi fort
Vous êtes ma chair
Vous êtes mon pays
Vous êtes mes racines
Non
Je ne veux pas
Je ne peux pas vous faire de mal
Je vous regarde
J’aime vos yeux
Je me reconnais en vous
Je vois aussi votre père
Celui d’hier
Beau et insouciant
Mes beaux enfants
Voudrez vous vivre loin de l’amour de votre père
Serez vous capables de supporter l’exil
Serez vous capables de vivre dans la honte avec dignité
Voudrez-vous de cette mère
N’allez vous pas l’accabler et la détester
Voudrez-vous de cette vie
Ai-je le droit de vous laisser grandir ainsi
Ne craignez rien
Avec moi
Vous ne connaîtrez que le bonheur
Mes enfants
Mes enfants
Mes enfants
Vous êtes si beaux
Vous êtes si beaux
Vous ne connaîtrez jamais que la beauté la magie et l’insouciance
Vous garderez votre pureté éternellement
Jamais vous n’aurez à souffrir de privations ou d’humiliations
Jamais vous n’aurez à supporter les crimes de vos parents
Allez mes amours
allez
Allez jouer

Amies !
Ecoutez moi
Plaignez moi
Riez de moi
La grande Médée
Médée la magicienne
Médée qui a terrassé les monstres et les dragons
Médée l’égale des hommes
Médée la femme libre
Médée la scandaleuse
Médée la criminelle
Médée la barbare
Médée la terrible
Médée est cocue !
Quelle dérision
Quelle honte
J’ai levé haut les couleurs de la femme
J’ai montré aux hommes que rien ne nous était impossible
J’ai montré aux hommes que leurs traditions et leurs religions étaient une mutilation du corps des femmes
J’ai montré aux hommes que ce sont eux les étrangers les barbares
Et me voici ridiculisée
Ma renommée entachée à jamais
Ma vie vidée de sens
Médée la sorcière incapable de prévoir son futur
Médée victime d’un roi maquereau qui a prostitué sa fille à mon mari
Médée aussi bête que tous les métèques réunis
Quelle farce
Mes soeurs
Ecoutez moi
J’ai mis ma vie entre les mains de Jason
J’ai mis mon bonheur dans son cœur
J’ai brûlé chaque moment sans penser au suivant
Un seule chose m’a toujours consumée
Le bonheur des miens
La joie de mon compagnon
Le rire de mes enfants

Regardez moi
Une femme seule
Abandonnée et exilée avec ses deux enfants
Je me sens vieillie et bafouée
Je vois mon homme se pavaner aux bras de sa viande fraîche
Autour de lui tous ses amis se gossent avec gravité et délectation
Je les entends d’ici
« Le grand et glorieux Jason à répudié sa première femme
Oui
Jason
Il a encore du nerf
Il est toujours un bel homme
Je le retrouve comme avant
Il a l’air soulagé
Rajeuni
Elle a de la chance la petite princesse
C’est vrai qu’elle commence à faire son age la Médée
Combien d’années qu’ils étaient ensemble
Regardez ses première rides
Regardez les cheveux blancs qui zèbrent sa tignasse noire
Regardez la luminescence étrange de sa peau
Guettez sa folie et la sauvagerie de ses yeux de corbeau
Ecoutez comment elle massacre la beauté de notre langue
Sentez les parfums puants qu’elle porte pour masquer son odeur de bête
Médée a toujours été dangereuse
Seule une étrangère peut commettre de tels crimes
Seule une femme barbare peut perdre ainsi toute notion du bien et du mal
Les femmes sont des louves sans cervelle
Elles couvent leur couche comme leur vie
Qu’elles ne règnent que sur la vie domestique
Qu’elles écartent les cuisses avec reconnaissance
Qu’elles se prosternent en extase devant le miracle de l’érection »
Elle qui l’a aveuglé avec sa magie toutes ces années
Elle rien vu venir la sorcière »
Et quand je serai exilée on dira :
« Que fait Médée maintenant ?
Elle fait pitié
Crainte et détestée
Elle ère de pays en pays
Elle survit malgré sa rente qu’elle a dilapidé
Elle dit la bonne aventure dans des villages reculés
Personne ne leur ouvre la porte
Pauvres enfants innocents
Tout le monde les regarde comme des bâtards
Ils l’accompagnent avec leurs yeux tristes
Les enfants de la sorcière répudiée barbare et criminelle »

Avec ce mariage
Je suis morte et poignardée
Avec ce mariage
Mon exil est complet
Si je dois vivre en exil de mon coeur
En exil de mon pays
De ma famille
Si tous les rivages me sont hostiles désormais
Où est mon avenir
Où est l’avenir de mes enfants
Mais
La magie de l’amour de Jason est si forte
Je devrais m’incliner et reconnaître que je suis faible
Un faible femme reconnaissante de la vie extraordinaire que nous avons vécue
Que je suis encore bien chanceuse d’avoir d’aussi beaux enfants
Que je ne suis rien sans mon mari
C’est vrai
Je ne suis rien sans mon mari
J’ai tout misé sur lui
Oui oui
Je vais partir
Je vais arracher notre amour pour toujours
De notre passé
Il ne restera plus rien

Mes enfants venez ici
Comme vous le savez votre père se remarie avec une autre femme
Louez le
Votre père sait ce qu’il fait
Même si vous ne comprenez pas
Même si cela vous fait de la peine
Il le fait pour nous
Il le fait pour vous
Prenez ces présents
Surtout ne les ouvrez pas
Oui
C’est une belle robe et un joli diadème
Allez les donner à la jeune princesse
Demandez lui sa protection
Demandez lui son asile
Demandez lui d’être votre nouvelle mère
Vous lui direz que je lui pardonne
Vous lui direz que je lui donne ma bénédiction
Vous lui direz aussi que je pars en exil
Oui mes enfants
Je dois encore partir
Ce sera le dernier voyage
Ce sera le plus magique de tous
Nous en parlerons plus tard
Prenez les présents
Allez au Palais
Vous direz à la princesse que je lui donne ma bénédiction
Ne traînez pas en route et soyez prudents

Scène 7 Meurtre muet

Scène 8

Jason

Médée
Quand les enfants ont porté tes présents j’ai été fou de joie
La princesse aussi
Avant de les congédier elle leur a donné à chacun une pièce d’or
Puis elle m’a promis qu’elle supplierait le roi pour les garder près d’elle et de les élever comme son propre sang
Elle n’a pu résister longtemps et elle a ouvert tes cadeaux
Elle riait comme une enfant se contemplant dans le miroir
La robe immaculée et le diadème argenté la faisait briller comme un diamant étincelant
Puis le tissu commença à la serrer et à pénétrer dans ses chairs la découpant comme autant de rasoirs empoisonnés
Son corps se comprimait en un fourreau sanglant éclaboussant le sol de sa traînée écarlate
Puis le diadème s’enflamma
Les cris
Ses hurlements déments
Ses hurlements déments se brisaient à mesure qu’elle se transformait en torche vivante
Créon
Son père s’est précipité sur elle pour éteindre le brasier
En quelques instants il fut pris au piège avec sa fille et ils se fondirent ensemble
En un magma de chairs en fusion

Oh non
Je ne peux pas le croire
Je ne peux pas le croire

Médée
Jason
Regarde tes deux enfants qui gisent à mes pieds
C’est mon cadeau d’adieu
Tu les as condamnés à mort
Je les ai tués pour toi
De nous il ne reste plus rien
Il est des serments dangereux qui sont des charmes terrifiants à briser
Tu aurais du être courageux
Tu aurais du me faire confiance
Tu as voulu jouer avec ma passion
On ne peut pas toujours gagner
La chance tourne toujours
Regarde la traînée de sang que ta vie aura laissé derrière toi
Ton nom est sali, tes amis sont partis et ton Palais brûle,
Sens l’odeur de verrat brûlé du grand roi Créon et de sa fille se répandre dans toute la cité
Sens l’odeur de la trahison et de la peur poisser l’air
Sens cette pestilence s’insinuer dans l’eau, dans la terre, dans le tissu des chairs et s’abattre comme un rapace dans les cœurs
Du grand et rusé Jason il ne reste plus rien,
J’ai éviscéré ta descendance, je l’ai saignée, découpée, vidée, déchiquetée,
Regarde ton sang couler et contemple enfin le vide de ton amour,
Aujourd’hui tu pleures tes enfants qu’hier tu voulais bannir
Oui
Médée a tué ses enfants !
Sus à la barbare !
Sus à la femme monstrueuse !
Pourquoi une mère ne pourrait-elle pas tuer ses enfants
Je les ai mis au monde dans une douleur inouïe
Je les ai tués dans une souffrance plus grande encore
Pauvres enfants innocents ?!
De quelle innocence parle t’on ?
Pourquoi élever des enfants pour les vomir ensuite dans un monde d’abominations
Un monde que leurs pères ont spolié, exploité, torturé, pollué
Un monde où leurs pères les tuent à la guerre
Les tuent au travail
Les tuent par leur héritage meurtrier
Un monde ou leurs pères les maltraitent, les violent ou les abandonnent
Au moins la mort que je leur ai donnée n’est pas une mort honteuse
Ils ne connaîtront jamais le poison du renoncement
Ce cancer qui étouffe la beauté de l’amour et de l’espoir
Au moins la mort que je leur ai donnée est une mort de vérité
Saine
Propre
Sans aucune hypocrisie
Une mort d’amour pur
Celui dont tu es incapable
Regarde tes deux enfants qui gisent à mes pieds
Je les ai tués pour te détruire
Je les ai tués pour me venger de l’injustice
Je les ai tués pour les libérer de toi et de votre monde pourrissant
Désormais
Tu seras toujours le pauvre Jason et moi la Grande Médée
Ma plus grande vengeance est de te laisser en vie
Je te laisse à jamais pourrir sur pied
Adieu

Retour à la fiche