UN TRAVAIL D’ECRITURE

C’est en me basant sur le texte d’Euripide (480-406 avant J.C) que j’ai écrit cette version de Médée qui est ma cinquième pièce après Les Magichiens (1996), Au Loup ! (1999), Que voyez-vous, Malloy et Un Plat de Résistance (2002). Ce travail d’écriture est la continuité d’une démarche qui vise à traiter au théâtre les thèmes de l’angoisse métaphysique et de l’onirisme au travers de personnages handicapés ou déclassés. Mon choix de textes pour mes mises en scène est à cet égard assez éloquent. Que ce soit Beckmann l’éclopé désespéré de Dehors devant la Porte, Les Aveugles de Maeterlinck perdus dans l’immensité ou Victor, cet enfant monstrueux de Vitrac terrifié de vivre dans une société sans but, tous ces personnages ont un point commun. Ils se réfugient dans le rêve ou la démence pour fuir un monde qu’ils sentent les dépasser.

L’HISTOIRE

Voici Médée, la voleuse de la Toison d’or, l’aventurière, la fratricide, la sorcière, l’étrangère, trahie par Jason son complice et compagnon, père de leurs deux enfants. En effet, Médée se voit abandonnée par son amant au profit de Créuse, fille de leur hôte le roi Créon. De plus, elle est condamnée à l’exil le jour même des noces de Jason. Folle de douleur, elle provoquera la mort de la princesse et du roi son père. Médée parachèvera sa vengeance en tuant ses propres enfants pour ensuite disparaître dans un char ailé que lui envoie le Soleil et laisse Jason anéanti à jamais.

THEMES

LA BARBARE

Médée est perçue comme une étrangère, une Barbare exilée, apatride, fratricide, meurtrière: en un mot une sorcière. C’est l’Orientale vue par « l’occident civilisé ». Seule une Barbare à pu commettre tant de crimes. Lorsque le roi Créon et Jason lui annoncent qu’elle doit partir et s’exiler, ils lui avouent leur peur de l’immigrée. Dès lors, la peur du souverain et de son peuple, c’est celle de l’autre, du non-occidental capable de tout. Médée jetant les morceaux du corps de son frère, faisant bouillir ceux d’un vieillard et finalement égorgeant ses propres fils fait vivre la figure de L’Orientale Barbare selon les fantasmes de l’occident.

LA FEMME NIEE

La réflexion sur la nature féminine occupe une grande part dans la pièce. Ces « droits » dont parle Médée, c’est d’abord le désir physique. Dans la légende, c’est la déesse Aphrodite qui convainc Médée de mettre ses pouvoirs au service de Jason. C’est ce double orgueil de princesse et de femme jalouse qui pousse Médée à l’infanticide. La passion prend le pas sur la raison. Et on comprend aisément pourquoi. Dans cette pièce, la femme reste incomprise et méprisée de l’homme. Il considère comme sans importance l’abandon du mari pour la couche conjugale, alors que pour la femme il constitue une catastrophe sans égale. Médée se retrouve à lutter donc pour la condition des femme dans un milieu qui plus encore qu’aujourd’hui est défavorable et hostile.

QUETE DU POUVOIR

Comme dans une association de deux gangsters, tout à coup l’un rompt le pacte et la vendetta commence. Pour assouvir son ambition, Jason veut, comme dans les films de malfrats, se mettre sous la protection de Créon en mariant sa fille. Pour le monarque, c’est une occasion en or. Il assure la pérennisation de son royaume avec un prince qui a une réputation héroïque. Pour lui aussi, Médée pose donc un problème. On l’ a déjà évoqué; s’il a peur d’elle, c’est qu’il a de bonnes raisons de l’être. Non seulement c’est une Barbare, mais en plus, il sait de quoi elle est capable avec ses ennemis. Ne pas l’exiler, c’est mettre en péril son royaume. Nous assistons donc à une lutte pour le pouvoir.

L’INNOCENCE BRISEE

Comme dans toute tragédie grecque, personne ne sortira indemne de ce combat. Toutefois, derrière les grandes phrases se cache un enjeu d’une trivialité autrement plus poignante : la question des enfants. Les enfants sont un enjeu politique, c’est la transmission et la pérennité du Nom. Il sont aussi la continuation de l’amour. Les enfants sont les victimes impuissantes de la passion de leurs parents. Avant même leur mort leur innocence se retrouve écrasée et démolie par la fureur du monde. Ils sont une métaphore du peuple qui se retrouve souvent malgré lui spectateur de son propre destin.

CONCLUSION

Le destin de Médée, est d’essayer de survivre dans un monde qui lui est doublement hostile. Comment tenir tête aux froides raisons du pouvoir et de l’argent ?Comment garder la tête froide lorsque sont statut de barbare, lui est en permanence jeté à la figure ? Comment garder sa dignité dans un monde d’hommes refusant aux femmes leurs droits et un avenir ? En fin de compte, Médée est une pièce profondément humaine qui montre les passions et les folies des hommes. Elle raconte comment une injustice peut mener au pire des crimes.

MISE EN SCENE

LE DECOR : DES IMAGES ET LES HOMMES ET FEMMES EN VIS A VIS

Les spectateurs seront installés de manière bi-frontale de chaque côté de la scène. Aussi, il sera proposé au public de se diviser des deux côtés de la manière suivante : les hommes d’un côté et les femmes de l’autre. Il y a dans Médée un côté « guerre des sexes » ; le fait de confronter ainsi de manière ludique les hommes et les femmes permettra à chaque spectateur de voir comment chaque sexe réagit, et de recréer aussi une petite agora le temps d’une représentation.
Au milieu de l’agora on verra surtout un espace de jeu, presque nu, avec au centre un bloc de pierre blanche permettant de figurer l’espace des pensées et des réflexions des héros. Les autres lieux seront signifiés par la des positions dans l’espace et la lumière.
A l’extrémité jardin se trouvera un grand drap blanc tendu sur un cadre lui même bordé de tissus drapés. Cela permettra ainsi des jeux d’ombres (pour les assassinats par exemple) ainsi que des projections de films ou de décors visuels. Cela figurera aussi une sorte de télévision antique : lieu ou le peuple se regarde et voit, impuissant, les Grands se déchirer. C’est aussi le lieu unique de parole pour Jason. N’osant pas approcher Médée, il ne lui parlera ainsi que publiquement et à distance.

LA LUMIERE LA MUSIQUE CREANT L’ESPACE

La lumière aura un rôle important pour à la fois délimiter l’espace et créer des lieux distincts. Les personnages entreront et sortiront de la lumière comme d’espaces différents. Elle aura aussi pour fonction de donner des perspectives « cinématographiques » aux personnages. En effet, je compte beaucoup utiliser des projecteurs latéraux et des rampes permettant ainsi de sculpter les visages et créer des tensions visuelles fortes.
La musique jouera un rôle important. Pendant toute la représentation on entendra la mer en fond sonore symbolisant le côté implacable et immuable de la tragédie. On entendra aussi des chansons contemporaines et étranges retravaillées et altérées : ces morceaux traduiront les sentiments et les états d’âme de Médée et de ses enfants.

COSTUMES ET MAQUILLAGES CONTEMPORAINS

Les costumes et les maquillages seront de style contemporain pour rester plus proche de notre actualité et permettre un décalage ironique entre le passé et le présent. Pour Médée, une robe noire de deuil. Les maquillages seront naturels avec seulement le regard surligné et travaillé.

DES ACTEURS ET DANSEURS

Nous avons affaire à un théâtre de parole où la narration revêt une grande importance. C’est à un théâtre épique ou on est convié, ou le spectateur fait la plus grande part du travail. C’est un jeu d’acteurs avec candeur et d’incarnation sans faux semblants qui m’intéresse. Plus ils seront sincères, plus ils seront émouvants et terribles dans leur absolu. On l’a vu, Jason ne jouera qu’à distance. To0uefois, Médée et Jason n’oublient jamais qu’ils sont observés en permanence : malgré leur sincérité, il seront donc toujours en représentation. Il y a une dramaturgie de procès public qui s’impose à eux.
Il m’a paru incontournable de proposer le rôle des enfants à des danseurs. Ce qui m’importe est qu’ils traduisent par le mouvement et l’espace scénique la folie démente de leurs parents. Je désire que l’on voie par leur corps comment ils sont envahis et débordés par des émotions brutes. Aussi, à travers la nature de leur regard on pourra ressentir encore plus la violence du déchirement du monde terrible de leurs parents.

CONCLUSION

C’est à un spectacle court et dense auquel vous êtes conviés. La tragédie inéluctable se déroulera sur la place publique dans une dramaturgie de procès ou le jury est divisé selon son sexe. Le public se retrouve dans une situation inconfortable. Prendre parti pour Médée ou pour Jason c’est forcement avoir tort. Ne pas intervenir revient à se rendre coupable et complice du meurtre des enfants innocents de Médée et Jason. La peur de l’étranger, la place de la femme et le pouvoir sont donc les thèmes centraux de ce drame. Ils sont inscrits dans le contexte le plus théâtral qui soit, celui d’Eros et Thanatos, de l’amour et de la mort.