Écrire

L’histoire

Moby Dick de Hermann Melville est mon livre de chevet par la force de son récit et la simplicité toute apparente de ses enjeux. Pour «Le chant du crabe», je lui ai emprunté son personnage principal, Le Capitaine Achab, qui suit sa folie jusqu’à la mort pour chasser la terrifiante Baleine Blanche.

Le Capitaine Achab, unijambiste et aveugle, est alité dans une chambre d’hôpital. A ses côtés, un marin : John Malloy. Au-dessus du lit, une potence. Sur ce mât où est clouée une pièce d’or, une voile blanche est gonflée par un ventilateur. Le Capitaine Achab est à l’agonie et propose à Malloy de larguer les amarres. Autour d’eux, médecins et infirmières s’affairent. La perception fantasmée par Achab et Malloy du personnel médical leur donnera l’occasion d’une dernière croisière imaginaire à la recherche de la Baleine Blanche. Sous le regard de nos héros, les médecins et les infirmières se métamorphosent en personnages variés : marchands, croques morts, sirènes etc… Cette odyssée marine dresse alors un tableau noir et burlesque de notre société. Au milieu de ces aventures, Le Capitaine Cancer, avec sa pince de fer et ses crabes voraces, rôde sur son bateau. Cela fait longtemps qu’il a pincé le Capitaine Achab. On comprend alors que ce dernier meurt du cancer et que, jusqu’à sa fin, il combat pour rester maître de sa vie et aller au bout de ses rêves avec dignité.

Une subvention pour écrire et mettre en scène sur trois ans

La compagnie bénéficie pour la période 2009-12 d’une subvention de l’état de Vaud. Ce soutient consacre ma démarche d’écriture et de mise en scène de mes propres textes ou d’adaptations. Ce travail rigoureux basé sur des situations fortes et des propositions scéniques spectaculaires s’adresse au ventre, aux sens et à l’émotion du spectateur. Ce n’est que par ce chemin là qu’est possible pour moi le plaisir intellectuel du public ; par le frisson et la surprise. En refusant toute moralisation, mon désir est de gratter et de mettre en lumière cet endroit inavouable ou nos instincts bestiaux s’opposent avec notre raison. C’est au spectateur de travailler et de prendre parti !

Un texte tout public

Ecrire pour moi est un travail de plaisir et de passion que je cultive depuis l’adolescence. J’ai terminé une première version de cette pièce en 2003 et j’y reviens régulièrement pour la retravailler et la peaufiner. C’est une pièce « achevée » que j’ai toujours autant de joie à reprendre et améliorer. Ce texte épique et ludique qui parle de la maladie et de la mort des parents est pour moi tout publics à partir de 15 ans. «Le chant du crabe» est la première pièce d’un trilogie inspirée de Moby Dick suivi de «Vétérans, ou une baleine dans ma baignoire » et « Dans l’œil du Cétacé ».

J’ai également écrit « Boulettes» prix texte en scène de la SSA (2010 – 30 représentations). « Dans l’œil du Cétacé » (2009 – 18 représentations), « Vétérans ou une baleine dans ma baignoire » (2007), « La souris se fait la Belle » (2005 – 25 représentations), « Médée » (2005 – 19 représentations), « Un Plat de Résistance » (2002 – 35 représentations), « Au Loup ! » (1999 – 15 représentations), et « Les Magichiens » (1996 – 45 représentations).

Notes d’intention

Un monde marchand

Tous les personnages en ont après la pièce d’or du Capitaine et usent de tous les stratagèmes possibles pour l’obtenir. Ainsi on verra les médecins disputer à Malloy un mourant pour le recycler entièrement. Ils veulent vendre ses organes, faire de la farine avec ses os et utiliser les chairs pour les vendre sous forme de boîtes de thon. Cet hôpital est une représentation cauchemardesque en miniature de nos sociétés : un lieu de malades dirigé par des fous cyniques mercantiles et dangereux.

Un monde rongé par « le cancer »

Le personnage emblématique de la pièce est le Capitaine Cancer et sa terrible pince de fer. Lorsqu’il pince un homme, il lui propose aussitôt un contrat faustien. Contre la vie il propose l’amoralité et la jouissance d’une vie de consommation sans remords et sans humanité. Le cancer est ici le symbole de toutes les maladies qui peuvent ronger l’humain, qu’elles soient physiques ou mentales. Le Capitaine Achab se meurt du cancer le plus terrible, celui de vivre dans un monde qui ne lui permet plus d’accomplir ses rêves.

La baleine blanche …

La baleine blanche symbolise le lieu de tous les possibles et de tous les phantasmes inaccessibles. On la cherche sans la trouver, on la désire tout en la craignant. Tantôt la Baleine blanche est présentée comme terrible, tantôt elle est décrite comme un paradis. La Baleine blanche que cherche désespérément le Capitaine Achab est aussi une représentation rêvée et heureuse de la mort. La trouver est pour lui aborder sur un dernier rivage : celui d’une île loin d’un monde qui le refuse.

Une mort digne et heureuse

A travers les doses de morphine que prend le Capitaine Achab se pose la question de la mort assistée et de l’organisation de la cérémonie des adieux. Comment préparer son enfant à l’inéluctable. Jusqu’ou sommes nous prêts à aller pour aider ceux que nous aimons. En accompagnant Achab dans son dernier voyage vers la mort, Malloy accomplit par amour un des plus beaux actes humains : rendre la mort digne et sereine.

La fantaisie et l’humour

Pour évoquer tous ces thèmes, il ne m’a paru qu’un moyen possible, celui du rire et de l’ironie. Les situations sont volontiers extrêmes et les personnages souvent caricaturaux. Cela permet de laisser une large place à l’humour ou la drôlerie. L’univers de vieux loups de mer et tous ses clichés entre Malloy et le Capitaine Achab en est un exemple. Un autre est le côté « opérette » de la pièce. Outre les parties chantées, il y a une volonté de jouer avec bonheur avec le rêve et la fantaisie.

Conclusion

C’est donc à une aventure épique à laquelle on est convié. Le matelot Malloy emmène les spectateurs dans un voyage ultime avec épisodes et péripéties. Les personnages sont des archétypes aux facettes différentes et variées. Ici, le réel est détourné et disparaît dans la folie de l’action et des situations. De l’hôpital, on passe sans détour au monde marin du baleinier Achab. Cela permet d’utiliser dans ce monde imaginaire toutes les ressources de l’illusion théâtrale : apparitions, images, danse, chant et musique. Ainsi doit se faire ce mélange indispensable : parler de choses graves en jubilant !

Eléments d’une mise en scène

La mise en scène sera centrée sur deux axes majeurs. Le premier sera la notion de songe, de cauchemar éveillé où la noirceur et le grotesque devront constamment s’entremêler. Le deuxième axe sera, comme toujours, les acteurs. C’est sur la force d’interprétation des comédiens que reposera l’ossature du spectacle.

Un décor entre rêve et réalité

Le décor sera une chambre d’hôpital nue, froide et blanche. Alité sur un lit d’hôpital à roulettes, le Capitaine. Au dessus du lit, la potence médicale avec sa perfusion a été bricolée pour ressembler à un mât de bateau. Sur ce « mât», est clouée une pièce d’or, et on peut voir une taie d’oreiller faisant office de voile s’agiter sous le souffle d’un ventilateur. Les murs seront faits en tissus tendus de tulle blanc, permettant, grâce aux jeux de lumière, de faire apparaître et disparaître des personnages derrière les parois de la chambre. Sur le mur de fond à cour, ainsi que sur la paroi de côté jardin, il y aura des portes à doubles battants, chacune ornée d’une grande vitre en forme de hublot. A travers, on pourra voir les « vrais » médecins observer le Capitaine. Ces portes permettront aussi de faire entrer le personnel médical, mais aussi, dans la scène d’opérette et dans la scène finale, le vaisseau du Capitaine Cancer.

Des images et une lumière aquatiques

Les murs seront en tulle blanc et serviront pour des projections d’images vidéo. L’idée est d’immerger Malloy et le Capitaine dans des images à dominante marine. Le brusque retour aux murs blancs de la chambre d’hôpital marquera une frontière nette, voire brutale entre le fantasme et la réalité. Ainsi l’irréalité et le rêve seront palpables pour le spectateur. Dans les moments de transition entre deux rêves du Capitaine, l’éclairage sera d’un blanc intense, froid et clinique. Dans les moments oniriques, la lumière sera mouvante et aquatique, suivant et rythmant les images vidéo.

Quatuor à Cordes et opera opiacé

A l’avant scène, comme sur le pont du Titanic, un quatuo à cordes rythmera le spectacle. On fera aussi appel à un petit chœur d’infirmières. Ce sont les rêves morphinomanes du Capitaine Achab qui introduiront la musique en même temps que les images. Chaque lancement de séquence sera ponctué d’une immersion musicale forte. Chaque personnage aura son thème introductif distinct avec sa couleur propre. Par ailleurs, on entendra des bruits d’océan, des cris de Baleine, etc… qui arriveront ou disparaîtront par vagues. L’idée est d’avoir, à certains moments, un roulis sonore accompagnant les bouffées de morphine du Capitaine Achab. Deux moments auront une saveur particulière : celui de la chanson de « cabaret marin » entre Malloy et l’infirmière ainsi que celui d’opéra entre Malloy, l’infirmière et le Capitaine Cancer.

Des acteurs au pied marin

Toute la mise en scène a pour but final de mettre les acteurs au centre de l’action. Le travail avec les acteurs sera basé sur le sens et le rythme du texte. Le caractère onirique du dispositif scénique leur permettra de faire entendre le texte sans avoir besoin d’alourdir le trait: grâce à un jeu dépouillé, la pièce fera son oeuvre sans effets. Les comédiens, surtout celui qui incarnera Achab devront faire deux choses antinomiques. D’une part, ils devront incarner leur personnage et donner une grande intensité dramatique. De l’autre, ils devront avoir un jeu distancié pour laisser apparaître tout l’absurde et le comique de certaines scènes et situations.

Conclusion

Ma volonté est de faire une mise en scène gaie et enlevée sur un texte à l’humour noir mais accessible à tous. Autour des acteurs, c’est toute la variété de l’illusion théâtrale qui devra se déployer : apparitions, images, danse, chant et musique. Le cauchemar et la gravité sociale et métaphysique des thèmes abordés n’empêcheront pas le rire, et surtout l’émotion.

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