de Maurice Maeterlinck
12 au 25 mars 2001 à la Grange de Dorigny à Lausanne
Lettre aux sourds et aux aveugles
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Maurice Maeterlinck
(1862 –1949)
Son Prix Nobel de littérature en 1911,salue l’extraordinaire diffusion internationale de son œuvre. Ses textes les plus connus sont L’oiseau bleu et Pelléas et Mélisande respectivement mis en musique par Stravinsky et Debussy. Dans son essai Le Tragique quotidien, Maeterlinck revendique « une banalité trouée d’abîmes ».
Un précurseur de Beckett
Athée, dramaturge du silence, de la mort et de l’angoisse, Maeterlinck a marqué tout le théâtre du XXème siècle. Aux antipodes du naturalisme, il a fortement influencé les surréalistes, mais aussi Beckett, dont les dialogues semblent souvent calqués sur ceux de son illustre devancier. Le style, usant de répétitions, de vers blancs et de phrases suspendues aboutit à un dénuement, à une simplicité extrême. Des personnages schématiques y découvrent la mort et la subissent. Ils évoquent la misère de la condition humaine privée de foi. Maurice Maeterlinck est depuis longtemps un des mes auteurs de chevet. Le dépouillement tragique de ses pièces ont toujours exercé sur moi une fascination particulière.
Une beauté noire intemporelle
Les Aveugles (1890) est la deuxième pièce de Maeterlinck. La situation invraisemblable de cette pièce ainsi que son univers Beckettien m’ont toujours attiré. Sur un mode plus grave mais qui laisse étonnamment place à l’humour, la pièce Les Aveugles permet à la Compagnie Nonante-Trois de continuer son exploration des thèmes de la misère humaine et de la métaphysique.
Thèmes du spectacle
L’histoire de la pièce
Un groupe d’aveugles bivouaque. Ils sont de tous âges, hommes et femmes. Certains sont aveugles de naissance et d’autres non; parmi eux il y a une aveugle folle et une autre avec un bébé. Ils sont sur une île, dans une clairière au milieu de la forêt. C’est une nuit d’hiver. Leurs seuls repères sont les bruits hostiles des éléments. Ils attendent le retour du prêtre qui les guide vers leur hospice. Or, celui-ci est mort sans un bruit au milieu d’eux. Seul le retour du chien du prêtre leur apprendra leur tragique condition. Sans secours possible, ils n’ont plus qu’à attendre une fin certaine. Bientôt, nos aveugles entendent les pas de plus en plus rapprochés de la Mort qui s’arrêtera au milieu d’eux.
La cécité, symbole désespéré de la condition humaine
Comme chez Beckett (la référence est incontournable), les personnages sont affligés d’une infirmité irrémédiable, ici la cécité. Non seulement l’homme est seul dans l’univers, mais en plus il est aveugle. La non-voyance est le symbole de la coupure avec le monde extérieur et l’affirmation de l’inadaptation de l’homme dans son univers. C’est une reprise originale de la fable platonicienne de la caverne : l’homme ne perçoit dans sa grotte qu’un reflet déformé du monde. Or, dans Les Aveugles, les personnages sont en plus privés de l’image. Ils ne perçoivent que les bruits, ce qui rend le monde encore plus hostile et désespéré.
L’attente de la Mort
Comme chez Beckett, les personnages attendent dans un univers intemporel que leur vie se passe. Nos Aveugles représentent l’humanité qui attend sa fin. Hommes et femmes sont de tous âges, certains sont fous, et une aveugle porte avec elle un enfant, futur des hommes. Il n’y a aucune action, seulement des événements sans conséquences sur la destinée des protagonistes. La tension dramatique naît de l’oppression du vide, de la prise de conscience progressive de l’absurdité de la vie et de sa fin inéluctable. La mort en elle-même n’est rien, c’est la forme qu’elle prend dans l’imaginaire de chacun qui fait peur.
La mort sans foi
Contrairement aux Grecs ou à la philosophie chrétienne, les personnages sont irrémédiablement privés de guide et de foi. Le prêtre, symbole de Dieu ou d’un Sens de la Vie, est mort au milieu des hommes. Dans Les Aveugles, Maeterlinck nous dit que l’homme est un aveugle sans but avec pour seule perspective la mort au bout du chemin.
Un humour Beckettien
Il a été question jusqu’à présent d’un univers sombre et sans appel. Mais que l’on se rassure, le rire ne sera pas absent. Les interventions courtes des personnages, chacun avec leur caractère bien campé, qui passent souvent du coq à l’âne sont une grande source d’humour. Il en est de même des déplacements et des tâtonnements des acteurs aveugles. Il en découlera un burlesque absurde lorsqu’ils trébucheront ou qu’ils saisiront par mégarde quelque chose ou quelqu’un. Comme chez Beckett, les personnages sont malgré eux transformés en humoristes involontaires.
Résumé
Les Aveugles c’est nous. On l’aura compris, ce texte est une interrogation métaphysique sur le sens de la vie, et la cécité est une métaphore de notre condition humaine avec ce qu’elle a de tragique, absurde et surtout drôle. Si l’homme est sans foi, la conscience humaine ou l’humour peuvent-ils suppléer au vide? Et s’ils ne le peuvent pas, que reste-t-il? Une attente de la mort désespérée?
Mise en scène
Pour rendre compte des thèmes déjà évoqués, il m’a paru évident d’axer la mise en scène sur quatre plans majeurs : la musique, le travail des sens (l’ouie et la vue), le plaisir du texte et l’humour absurde.
Un décor sonore
Le décor sera avant tout un décor sonore. Il s’agit de recréer musicalement et de manière stylisée les bruits environnants. L’effet sera de plonger le spectateur dans le même univers que les aveugles, que l’ouie soit constamment sollicitée. Si parfois les interventions sonores pourront être ouvertement humoristiques, les silences entre les personnages laisseront aussi une sensation d’angoisse au public. Ces silences seront entrecoupés par la musique de Marco Trosi. En effet, je lui ai dévolu le rôle de l’aveugle folle. Grimé ainsi en femme, Marco Trosi jouera au milieu des autres aveugles de diverses flûtes. A côté de lui, dissimulé dans un sac, se trouvera sa console son. Il organisera en direct l’univers sonore évoqué plus haut. Les textes de Maeterlinck se prêtent étonnamment bien à la mise en musique. A deux moments, lors de la découverte du prêtre mort et à la fin, les acteurs chanteront un chœur polyphonique accompagné à la flûte, composé par Marco Trosi.
Un décor abstrait et oppressant
Sur un sol vallonné, avec des petites buttes, se trouvera un tapis de feuilles mortes. De derrière une butte, dépasseront les jambes du prêtre, comme s’il était en train de dormir. Ce sol sera complètement entouré par des arbres stylisés. Leurs troncs et branches seront noirs, comme calcinés. Derrière cet espace se trouvera un cyclo qui changera de couleur au gré des événements.
Une lumière crépusculaire
La lumière jouera un grand rôle dans la mise en scène. On l’a vu, la manière qu’elle aura d’éclairer le cyclo donnera l’ambiance générale de la pièce. Sur l’espace des aveugles, la lumière sera toujours assez faible et surtout mouvante. Imperceptiblement, elle agira comme une trouée de la lumière lunaire un soir nuageux et venteux. La lumière du cyclo étant toujours un peu plus forte que celle éclairant les acteurs, il y aura un effet permanent de léger contre-jour. Ainsi, sans trop solliciter la rétine du public, celui-ci sera mis dans la situation d’un aveugle léger. Il aura ainsi par moments un petit doute sur la véracité de ce qu’il voit et devra faire appel à son ouie pour équilibrer sa « vision » du spectacle.
Le jeu des acteurs, un travail de chœur
Les acteurs ne quitteront jamais la scène et il n’y a pas de rôle prédominant. C’est un travail de chœur qu’il s’agira d’organiser. Les acteurs devront considérer le texte comme une polyphonie, où l’écoute et les silences sont aussi importants que la parole. Les acteurs donneront à chacun de leurs personnages un caractère particulier. Le plaisir du texte sera ainsi renforcé.
Une traduction en langue des signes
Toutes les représentations seront traduites en langue des signes. Au statisme relatif de la mise en scène et du dispositif scénique, la traduction en langue des signes par Pascal Boussac et Catherine Délétra apportera gravité et mouvement. La précision et la solennité de leur gestuelle « signera » le désespoir des personnages. Aussi, ils seront des témoins et des passeurs du drame.
L’enfant et le chien
Il est toujours délicat d’avoir sur scène un animal ou un enfant. Ils ont un jeu tellement naturel qu’ils éclipsent tout le reste ! L’enfant sera une poupée sonorisée qui ne sera jamais montrée. Le chien, dressé pour l’occasion, ne restera sur scène que le strict nécessaire. Sa présence contribuera à rendre la mort du prêtre dramatiquement absurde.
Les costumes et le maquillage.
Les costumes seront sombres dans une alternance de gris et marron foncé. Leur habillement sera intemporel, mêlant chasubles, robes de bure, et éléments contemporains. Il y aura quelques cannes d’aveugles. On l’a vu, la tête du musicien sera cachée par une grande capuche. Le visage des autres sera très légèrement maquillé, avec une attention particulière donnée aux yeux des comédiens. Certains porteront des lunettes noires rondes cerclées de fer, d’autres auront des regards blancs, et les aveugles qui ne le sont pas de naissance auront un regard presque normal.
CONCLUSION
Cette pièce est composée comme un poème, un chant. Il s’agit de faire en sorte que la musique, le texte et « les décors », s’adressent autant aux sens qu’à l’intellect. Tout en passant alternativement du rire à l’angoisse, la mise en scène à pour but de donner au public une heure de réflexion, et surtout de plaisir, sur le sens de la vie.