Un texte d’après Charles Perrault et Angela Carter et… Alfred Hitchcock.

Angela Carter est née dans le Sussex en 1940. Elle a étudié la littérature Anglaise à l’université de Bristol, séjourné deux fois au Japon, enseigné à l’université de Brown aux USA et à celle d’Adélaïde en Australie.
Elle est l’auteur de neuf romans, de trois recueils de nouvelles, d’un essai (La femme Sadienne, 1979) et de nombreux articles. Elle a traduit en Anglais les Contes de Perrault. Elle est morte à Londres en 1992.

Dans son livre la Compagnie des Loups, elle s’est dans ses nouvelles inspirée librement des contes de Perrault. On y retrouve les classiques, Le Petit chaperon rouge, et surtout Barbe Bleue. Ce qui caractérise ces nouvelles est une atmosphère “cinématographique” et mystérieuse que n’ont pas les contes de Perrault.

Je me suis servi dans un premier temps de la trame de la nouvelle “Le cabinet sanglant” d’Angéla Carter avant de tout réadapter et donner une forme originale. J’ai réécrit les personnages pour leur donner une plus grande épaisseur et rajouté une foultitude d’autres. Des épisodes entiers ont été rajoutés. Je me suis également inspiré de la trame du film Rébecca d’Hitchcock ainsi que de nombreux films d’horreur des années 1940. C’est donc à une pièce originale que nous avons à faire.

La suite d’une collaboration avec la Cité des Spectacles

Au Loup! est la troisième collaboration avec La Cité des Spectacles. C’est grâce à ses animatrices, Hélène Tilbury et Nicole Pahud, que j’ai crée le spectacle pour enfants Les Magichiens à l’été 1996 et Solo le Bègue à l’été 1997. Après ces deux expériences réussies, une suite s’imposait !
Depuis 1996, La Cité des Spectacles a décidé que le spectacle qu’il produit chaque été ne se ferait plus exclusivement sur le parvis de la Cathédrale de Lausanne, mais irait en tournée dans les quartiers difficiles de la ville. Cette décision s’imposait comme une continuité du travail d’animation effectué tout au long de l’année : animer les quartiers et leur apporter un accès au spectacle vivant perçu souvent comme cher, lointain et inaccessible.

Hélène Tilbury, Nicole Pahud et moi-même sommes animés de la même envie d’un théâtre citoyen, comme on dit aujourd’hui. C’est le fait d’aller dans ces lieux qui est politique. Pour le reste, il s’agit surtout d’offrir un moment de plaisir, de faire un spectacle d’un peu plus d’une heure, tout public, festif, visuel et léger pour qu’il s’adapte aux multiples quartiers où il sera présenté.

Thèmes du spectacle

La Compagnie des Loups, livre dont est tirée la trame de ce spectacle, est considéré comme le chef-d’œuvre d’Angela Carter. Dix célèbres contes pour enfants sont subvertis par la plume féminine de l’auteur.

Relisant les contes de Perrault, ou de Mme de Beaumont, avec le regard du XXème siècle finissant, éclairé par la psychanalyse et corrigé par le féminisme, Angela Carter a su les renouveler tout en conservant leur charge de mystère et leur pouvoir d’enchantement.

L’histoire de la pièce

Une jeune fille, pianiste, épouse Barbe Bleue, homme fascinant, l’homme le plus riche de France et 3 fois veuf. Elle le fait par amour du luxe et de la bestialité. Dans le château de Barbe Bleue, elle est vite confrontée à la gouvernante et à la solitude. Barbe Bleue prétexte une affaire financière urgente pour s’absenter, non sans mettre en garde sa femme de ne jamais pénétrer dans son cabinet particulier. Évidement la première chose qu’elle fera sera d’y aller et découvrir les épouses torturées de son mari. Celui-ci de retour découvre la désobéissance de sa femme. Sur le point de lui trancher la tête, la mère de l’héroïne arrive et tue Barbe Bleue d’une balle dans le tête

Barbe Bleue

Le personnage de Barbe Bleue plutôt est pour moi un loup, d’où le titre de la pièce: Au loup! C’est “la Bête immonde” de Brecht dans ce qu’elle a de plus inquiétant. Son humanité et encore plus terrifiante que sa bestialité. Il aime ses femmes mais les condamne à mourir pour la seule raison qu’elles sont nées femmes. Il est double: humain et bestial: j’en ai donc fait un loup garrou. C’est la dualité qui fait peur et rend impuissant devant l’horrible.

Un point de vue de femme

Le changement essentiel consiste à quitter le point de vue de l’homme pour utiliser celui de la femme, jusqu’à présent tenue au silence. Avec cet angle de vision nouveau, le conte de terreur prend une toute autre signification.

De Barbe Bleue au Petit Chaperon rouge en passant par la Belle et la Bête, ce sont les femmes qui triomphent. Non seulement en empruntant les armes masculines traditionnelles – Barbe-bleue, loin de mettre à exécution ses noirs desseins, aura la gorge tranchée sur le billot par la mère de l’héroïne – mais à force d’audace, en refusant d’être une victime terrifiée pour devenir dans l’amour l’égale, la partenaire de l’amant. On est loin du mariage et des nombreux enfants… On peut même affirmer que l’érotisme Sadien des contes est sous jacent, bien que ce ne soit pas ce qui nous intéresse ici…

Le plaisir du mystère et de la cruauté

Un conte fait souvent frissonner et comprend une grande part de cruauté. Dans l’histoire originale de Blanche Neige, par exemple, on oublie que la méchante Reine meurt en réalité d’avoir dansé en hurlant après qu’on lui ait chaussé des sabots en fer rougis au feu! Le conte nous confronte à l’interdit, aux situations extrêmes. C’est paradoxalement ce merveilleux qui nous permet de nous identifier complètement aux personnages. Se faire peur et se rassurer donc est un moteur essentiel au plaisir du conte.

Morale ouverte

Dans ces contes, la résolution de ces histoires où se mêle terreur et merveilleux incluait obligatoirement une morale juste, ferme et sans appel. J’ai voulu laisser la morale de l’histoire suffisamment ouverte. En effet, en laissant l’histoire agir, elle laisse à chacun le soin de tirer les conclusions qui lui plaisent. La morale, s’il y en a une, n’est jamais exclusive. Elle laisse la place au plaisirs de la réflexion et du libre arbitre.

Mise en scène

Théâtraliser un conte est un défi toujours passionnant. Comment rendre compte visuellement du merveilleux, des monstres ou de la magie? C’est en répondant à cette question qu’est venue la conception de la mise en scène et de l’écriture.

Le décor: deux boîtes comme un castelet

Pour créer une atmosphère étrange, nous avons imaginé Henri Meyer et moi un décor qui ressemble à un petit castelet, plein de surprises, il s’agit de faire perdre ses repères au spectateur, de lui donner l’impression d’un monde irréel. Les personnages et les marionnettes évolueront à l’intérieur du castelet devant des toiles peintes. A côté de ce cadre cinématographique se trouve une tour en haut de laquelle évoluent le loup narrateur, Karl von Lupus ainsi qu’une foultitude de petits monstres toujours prêts à faire des commentaires ou des lazzis stupides.

L’esthétique de Henri Meyer

Pour nous guider dans ce voyage, j’ai donc fait appel au sculpteur lausannois Henry Meyer, dont l’imaginaire sans limite et la vision cruelle et pataphysicienne me paraissent coller parfaitement au projet. Je lui ai confié la conception esthétique de l’ensemble et tout particulièrement la réalisation des marionnettes et le dessin des costumes. En effet, je pense que la ligne visuelle de l’univers plastique d’Henri Meyer est originale et ludique et concourra à donner une esthétique cohérente et forte à ce projet.

Acteurs et marionnettes

Dans ce décor, pour accentuer l’univers fantastique du conte, les trois acteurs se feront aussi marionnettistes. Les rencontres entre humains et marionnettes seront incongrues pour plusieurs raisons. Les marionnettes, qu’elles soient minuscules ou grandes, seront de toutes tailles, apparaîtront de partout et déambuleront dans les mini décors à l’intérieur du castelet.

Cette dichotomie entre “interprètes humains” et marionnettes a pour but de différencier le réel de l’irréel, de recréer l’univers merveilleux du conte et de nous éloigner de tout réalisme.

La musique de Marco Trosi

Marco Trosi a l’art de faire de la musique de tout bois. Ses percussions et ses flûtes, elles aussi de toutes tailles et toutes origines, donneront une atmosphère ironique et étrange. Marco Trosi lui-même, habillé en frac, sera toujours visible du public. Avec ses instruments, il sera l’ordonnateur muet, le machiniste, le metteur en scène de la représentation.

Conclusion

Dans la jungle urbaine, il sera donc une bête et une seule qui hurlera dans la nuit. Cette bête immonde c’est le loup, le carnivore incarné aussi rusé que féroce. Une fois qu’il a tâté de la chair humaine, rien ne peut le remplacer. Pour le plaisir de rire et de frissonner, voici donc un spectacle plein de loups et de monstres mené par des comédiens, des marionnettes et une musicienne.

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